Lundi 1er décembre. Enfin.
Les mains dans les poches, je marche en direction de la gare. Il est dix-neuf heures. Dix-neuf heures et dix-sept minutes, pour être précise. Il me reste quarante-trois minutes avant l'heure du rendez-vous.
Je m'arrête quelques instants devant un parc. Devant ce parc. Celui où nous nous sommes rencontrés. A cette époque, je pensais que tu serais toujours à mes côtés. Je pensais que rien ni personne ne pourrait nous séparer. Cela me paraissait évident : toi et moi, nous étions faits pour être ensemble. C'était notre destinée. C'était en 2009, il y a cinq ans.
Cinq ans. Voilà près de cinq ans que je suis sans nouvelles de toi. Comment vas-tu ? Où es-tu ? Que deviens-tu ? J'ose à peine imaginer tes réponses à ces questions. Au début, nous étions restés en contact. Ces "Je t'aime" et "Tu me manques" traversaient le monde pour satisfaire notre hypocrisie. Il faut l'avouer. Avouons-le. L'hypocrisie et l'égoïsme dominent le monde, nous n'y pouvons rien. Ainsi est la nature humaine. Nous aimions-nous vraiment ? Après tout, peut-être que notre relation n'était qu'un remède à l'ennui.
Sans le savoir, j’ai commencé à marcher à travers le parc.
Une voix me sort de mes pensées. "Excuse-moi madaaame, mon ballon il est parti tout touut là-haut". Un petit garçon lève son index vers le ciel. Juste au-dessus de ma tête, son ballon est pris entre les branches d'un arbre. C'est un ballon de baudruche bleu, duquel pend un petit ruban. Je souris. M’élevant sur la pointe des pieds, j'attrape le ballon et le tend au petit : "Merci madame, Papa Nowel va te donner plein de cadeaux !" Je souris encore plus, essayant de ne pas rire. Le petit garçon repart en courant, promenant fièrement son ballon bleu. Il est adorable. Son innocence et sa naïveté me rappellent ce que tu m'avais dit il y a cinq ans. Tu disais que je semblais tellement sensible, tellement angélique, tellement innocente, comme une enfant, et que tu m'aimais pour cette raison. A cette époque, j'avais 15 ans. Tu en avais 18. J'étais "une enfant", tu venais d'atteindre ta majorité. Tu aimais une enfant, j'aimais un homme. Mon homme.
Je regarde l'heure. Il me reste vingt-quatre minutes. Je ne veux plus y aller. Je commence à avoir peur.
Il y a cinq ans, après ton départ, nous avons essayé de garder contact. Mais très vite, le vide s’est installé, amenant avec lui un silence inquiétant. Aujourd’hui, te souviens-tu de moi ?
Nous nous étions fait une promesse. Nous avions promis de nous retrouver aujourd’hui, lundi 1er décembre 2014, à 20h00. J’avais dit que je viendrais te chercher à la gare, mais…
Il se met à neiger. Je laisse échapper un soupir.
Je m’assieds sur un banc. Je ne sais même pas si tu viendras.
Pendant ces cinq années, quand j’ai compris qu’il y avait un vide entre nous, je n’ai plus osé aller vers toi. J’ai voulu fuir la réalité, fuir la souffrance. J’avais peur de comprendre que tu m’avais oubliée.
Pendant ces cinq années, je me suis sentie seule. Sans toi, ma vie n’avait pas d’intérêt. Elle avait été vidée de son sens. Mon corps n’avait plus d’âme. Il était vide, vide, aussi vide que le néant.
Il me reste quinze minutes. Quinze minutes pour faire un choix. Je lève les yeux vers le ciel, contemplant les nuages. Si seulement je pouvais vider ma tête, mon cœur, et me sentir aussi légère qu'eux...
Je ferme les yeux. J’essaye de faire le vide. J’essaye d’oublier. J’essaye de croire que tout va bien.
Au bout de quelques minutes, un liquide chaud et salé se met à couler lentement sur mon visage. C’est décidé. Je ne viendrai pas.
Il est vingt heures. 20h00. Je le sais sans même avoir besoin de regarder ma montre. Seul un frisson me suffit pour comprendre qu’il est l’heure du rendez-vous. J’ai encore les yeux fermés. Je suis persuadée que tu ne viendras pas. Mon corps est glacé par le froid. Mes larmes me brûlent.
-
Maintenant, il devrait être à peu près 20h15. Mes yeux sont toujours fermés. Je ne sens plus mes membres. Je désire me laisser mourir sur ce banc humide. Je m’y sens bien, je ne veux plus bouger. Finissons-en.
Je deviens folle. J’ai l’impression que quelque chose me caresse les cheveux. Peut-être est-ce le vent, un enfant, ou alors un oiseau. Peut-être aussi qu’il ne s’agit que de mon imagination. Qu’en sais-je, cela n’a pas d’importance.
Quelque chose me caresse la main. Cette fois, je me dis que c’est un insecte. Ou pourquoi pas une feuille morte qui s’est malencontreusement posée sur moi. Cessons de penser, je dois mourir.
A présent que l’heure du rendez-vous est passée, j’attends patiemment l’heure de ma fin. Je ne manquerai à personne. Je ne ferai de mal à personne. Ma disparition ne créera aucun vide, aucune tristesse à qui que ce soit. Après tout, je suis seule.
Quelque chose me caresse la joue. Ce sont sûrement mes larmes, plus assez chaudes pour me réchauffer. C’est que l’hiver est glacial, cette année.
Quelque chose se pose sur mes lèvres. Qu'est-ce ?
Mes yeux s’ouvrent en sursaut. Mon cœur se remet à battre. Il me bat. Il
le bat.
Le vide se meurt, vaincu par ton amour...