« -Ouvre les yeux ! m’ordonna la voix dans ma tête. »

Hésitante, j’ouvris lentement les yeux, et tout redevint comme avant. J’étais à nouveau dans la chambre de Sophie, près du lit, tandis que la jeune fille tendait encore sa main ouverte vers moi. Intriguée, j’agitai doucement ma queue, et je me retournai aussitôt pour la contempler. Le grelot que je venais d’attraper était à présent au bout de ma queue.

« -Miaou ! demandai-je à la personne qui se trouvait dans ma tête.
-Oh, c’est rien, répondit la voix masculine. Ce n’est qu’un petit grelot, ça ne va pas te tuer. Au fait, je m’appelle O-Kun. »

O-Kun.. ? Je n’avais jamais entendu ce nom, mais il me plaisait bien. Je me présentai à mon tour.

« -Enchantée, O-Kun. Je m’appelle Ca..
-Catgirl, m’interrompit la voix. »

Je fronçai les sourcils. Nous savions tous les deux que je m’appelais autrement. Cependant, nous décidâmes de ne pas en parler. Oui, car mon nom à moi, c’est Cathy.
A cet instant précis, la jeune fille sur son lit se leva et s’adressa à moi. Ses yeux semblaient humides.

« -Maintenant, promets-moi. »

Je levai la tête et la regardai d’un air interrogateur.

« -Promets-moi que tu ne m’abandonneras pas, continua-t-elle. Je ne sais pas sourire, je ne sais pas être heureuse. Apprends-moi, petit chaton.
-Ne l’écoute pas, me dit O-Kun. N’oublie pas que tu dois retrouver ta forme humaine. »

Je restai silencieuse. Je ne connaissais pas le passé de cette jeune fille, mais je sentais qu’elle était malheureuse. Je ne pouvais pas la laisser seule et partir pour retrouver ma forme humaine. Cela me semblait inhumain. Je me redressai fièrement face à elle, prête à lui donner ma vie.

« -Sophie, dis-je. Si tu es incapable de sourire, alors..
-Tu parles ! cria-t-elle.
-Miaaaou ! »

J’ouvrai grand mes yeux, tout aussi étonnée que la jeune fille. J’avais entendu le son de ma voix, et pourtant, je ne pus prononcer d’autres paroles.

« -Miaou, essayai-je. Miaou, miaou ! »

Plus aucun mot ne sortait de ma bouche, je n’y comprenais rien, et O-Kun se mit à hurler dans ma tête.

« -Bah bravo ! Et qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
-Miaou… murmurai-je, désespérée. »

J’avais l’impression de devenir folle, à force de parler à cette voix qui résonnait dans ma tête… Tandis que le stress m’envahissait, je balançai énergiquement ma queue. Et je compris que c’était le début d’une longue aventure.

Oui, à cet instant précis, le grelot au bout de ma queue retentit. Rien de surprenant, me direz-vous ? Ne jugez pas trop vite, car un éclair noir m’aveugla, et je vis apparaître devant moi un chat. Ses yeux étaient aussi sombres que ses poils. Je restai là à le contempler, puis je le reconnus enfin : c’était O-Kun, cette voix qui m’avait cassé les tympans quelques minutes plus tôt. Il se retourna et grimpa au bord de la fenêtre, prêt à s’en aller. Je laissai échapper un triste miaulement. Le chat se tourna vers moi.

« -Petite, dit-il. J’ai une mission à accomplir. Et toi, si tu restes ici, tu seras un chat jusqu’à la fin de ta vie. »

A ces mots, il se jeta en dehors de la maison et partit aussitôt. Je ne savais plus quoi faire. Je voulais rester ici avec Sophie, et en même temps, je voulais suivre O-Kun. Au bout de quelques minutes, je me décidai enfin. J’avais décidé de quitter cet endroit pour retrouver mon apparence. Je sautai sur le bord de la fenêtre, le cœur serré. Lentement, je me tournai vers la jeune fille afin de lui adresser un dernier regard. Mais lorsque je l’aperçus, je tombai brusquement et atterris violemment dans le jardin. Encore sous le choc, je me redressai et levai les yeux vers la fenêtre quelques mètres plus haut.

« -Miaou, pensai-je en me réjouissant du fait que les chats retombent toujours sur leurs pattes. »

Je contemplais les murs en face de moi, sachant pertinemment ce qui allait se passer. Je vis une boule de poil se jeter à travers la fenêtre pour me rejoindre au milieu des plantes vertes.

« -Désolée si je t’ai fait peur, dit la boule de poils. »

Je ne répondis pas. Après tout, j’avais vécu tellement de choses ce jour là.. Plus rien ne m’étonnait. Cette boule de poils blanche, c’était Sophie qui s’était mystérieusement transformée en chat.

« -Qu’est-ce qu’on attend ? demanda-t-elle. »

Et elle se mit en route sans me laisser le temps de répondre. Je me contentai de la suivre silencieusement. J'entendais mon souffle et les battements de mon coeur.. Je commençais à me demander ce que j'allais devenir. Devant moi, Sophie avait l'air beaucoup plus joyeuse sous sa forme féline. Cette jeune fille qui semblait si triste était à présent souriante dans le corps d'un chat au pelage aussi blanc que la neige. Je contemplais la façon gracieuse dont elle se déplaçait : elle me faisait penser à un petit ange qui flottait sur un léger nuage.

Après plusieurs minutes, nous arrivâmes enfin dans un lieu que je connaissais. C'était le parc, là où je m'étais réveillée sous la forme d'un félin. J'observais les gens s'amuser autour de moi, espérant voir l'un de mes proches ou quelqu'un susceptible de me rendre ma forme humaine.

Plus je marchais, plus j'y repensais... Oui, je repensais encore à ce jour-là, lorsque j'étais seule dans le parc, seule sur un banc froid... A attendre patiemment l'arrivée de mon ami qui passait simplement du temps avec une autre fille au lieu de s'occuper de moi. C'est bête, et pourtant... Je ne peux oublier ce que j'ai vu. Je ne peux oublier leurs regards, leurs sourires, leur joie, et leurs deux mains... Liées ensemble... Je soupirai inconsciemment.

« -Qu'est-ce qu'il y a ? demanda brusquement Sophie. »

Je remarquai qu'elle s'était arrêtée un peu plus loin devant moi.

« -Miaaou, lui répondis-je en essayant de lui sourire. »

Je commençais à me demander qui était vraiment Sophie. Etait-ce un chat, une jeune fille ? Ou bien...

« -Tu t'es enfin décidée à la laisser partir ? m'interrompit une voix masculine.
-Il fallait bien que je l'aide ! Elle est si innocente, répondit Sophie. »

Je sortis de mes pensées et levai les yeux. Je ne comprenais pas. J'étais avec Sophie, et à ma grande surprise, O-Kun était présent.

« -Alors, petite ? demanda le chat. Tu es prête pour l'aventure ? »

Je regardai ces deux félins devant moi. J'avais envie de leur poser des questions, j'avais besoin de comprendre ce qu'il se passait, mais je n'y arrivai pas. Seuls mes miaulements se faisaient entendre.

« -Et puis... reprit Sophie. Ce n'est pas à moi de l'aider.
-Tu sais bien que je n'aime pas les p'tits chatons incapables de parler ! cria O-Kun. »

Ses paroles résonnèrent dans mon esprit... Il venait d'avouer qu'il ne m'appréciait pas alors que j'étais si gentille ! Dites-moi, pourquoi les mâles de toutes les espèces sont-ils si cruels ? Que ce soit les hommes ou les chats, ils sont tous pareils...

Le ciel s’était couvert sans que je m’en aperçoive, et la pluie se mit à tomber bruyamment sur le sommet de ma tête. Le vent grondait, je commençai à avoir froid. Au moins, quand j’étais humaine, j’avais des vêtements pour me réchauffer. Mais maintenant, je n’avais qu’une touffe de poils... C’est vrai que ça réchauffe, mais pas assez... Sophie le chaton blanc et O-Kun le chat noir s’étaient tournés vers moi.

« -Elle tremble, constata Sophie.
-Ça va, petite ? me demanda le chat noir. »

Je le foudroyai du regard. Vexée par ce qu’il avait dit tout à l’heure, je ne pris pas la peine de lui répondre et lui tournai le dos.

« -Ouais, bah tu peux mourir, ça m’est égal ! grogna le chat. »

Et il s’en alla sans nous saluer…

« -Ne t’inquiète pas, dit Sophie. Ce n’est qu’un idiot. Viens, on va se mettre à l’abri ! chuchota-t-elle en souriant. »

Elle m’emmena sous un grand arbre dont les branches et le feuillage retenaient le mauvais temps. La pluie ne pouvait plus m’atteindre, et le vent semblait plus calme. Je me blottis contre le tronc, au milieu d’un tas de feuilles mortes, pendant que Sophie se léchait les pattes. Elle leva soudainement les yeux et me regarda.

« -Tu veux retrouver ta forme humaine, n’est-ce pas ? »

Je hochai doucement la tête.

« -Dans ce cas, tu vas devoir supporter O-Kun encore quelques temps, dit-elle.
-Miaaou ? demandai-je.
-Il est le seul à pouvoir t’aider. Moi, j’en suis incapable, murmura-t-elle. Je ne suis qu’une débutante... »

Une débutante ? Mais de quoi parle-t-elle ? J’observai la féline. Elle avait l’air de penser à quelque chose. Elle était silencieuse, immobile... Tout était si calme que je n’osais plus bouger d’un poil. Je parvenais même à entendre le son de ma respiration malgré le vent et la pluie. Je décidai d’imiter le chaton blanc. Comme elle, je restai silencieuse et immobile. Puis... Mes yeux se fermèrent lentement.

Lorsque je rouvris les yeux, je me rendis compte que je m'étais assoupie quelques heures.. Il semblait être à peu près 21h, il n'y avait plus de pluie et le vent avait cessé de gronder. Je pouvais admirer les reflets écarlates encore présents dans le ciel après le coucher du soleil. Je contemplai ensuite la lune qui commençait à apparaître timidement parmi les nuages blancs. J'aime beaucoup la lune. Elle est si belle, et si lointaine... Quelques minutes plus tard, je remarquai l'absence de Sophie. Je décidai alors de l'appeler :

« -Miaou ? ... »

... Pas de réponse. Le chaton blanc était peut-être parti se promener quelque part dans le parc, ou quelque chose dans le genre. J'avais faim, c'est pourquoi je partis en quête de nourriture sans me soucier du chaton. Je me disais qu'elle était sûrement dans le coin, et qu'elle serait de retour lorsque je reviendrai.

Alors que je marchais tranquillement près de l'arbre sous lequel Sophie m'avait emmenée, j'aperçus un liquide rouge dans les hautes herbes. Affamée, je pensai que c'était de la glace aux fruits rouges et je me précipitai dans l'herbe en me léchant les babines. J'arrivai près de la flaque. Mais intriguée par sa texture, j'approchai d'abord mon museau pour la sentir. Ça avait une odeur de...

Mes deux oreilles se dressèrent immédiatement au-dessus de ma tête. Je regardai autour de moi, inquiète et persuadée qu'il était arrivé quelque chose d'anormal.

PAN ! Une balle heurta l'arbre à quelques mètres de moi. Je regardai le trou qui s'était formé au milieu du tronc... Je ne bougeais plus, je ne respirais plus...

PAN ! Un second coup de feu retentit. Le bruit semblait s'approcher.

Tout à coup, un éclair noir se jeta violemment sur moi et quelque chose m'attrapa ! Je me débattis de toutes mes forces, essayant de mordre et griffer la chose qui m'empêchait de bouger.

« -Arrête, c'est moi ! murmura une voix près de mon oreille. C'était une voix que je connaissais. »

J'arrêtai alors de me débattre et regardai avec étonnement la chose noire qui commençait à me lâcher. Je tremblais de peur, j'avais l'impression d'être perdue dans un monde étrange et je ne comprenais plus rien. La chose me poussa en avant et cria :

« -Cours, ne t'arrête pas ! »

Cette chose noire s'appelait O-Kun... C'est la raison pour laquelle j'avais décidé d'obéir. Je courus droit devant moi, la tête baissée, sans but précis, mais je sentais que si je m'arrêtais, la vie ne serait plus qu'un lointain souvenir... J'étais effrayée.

« -Attention ! hurla le chat qui courait derrière moi. »

Je relevai brusquement la tête, et PAN ! Je fermai les yeux face à cet instant funèbre... La fin était proche... Et pourtant, je ne sentis aucune douleur ni aucune balle me transpercer le coeur.

J'avais arrêté de courir. Les yeux fermés, je restai là, debout dans les hautes herbes, persuadée que j'étais sur le point de mourir. Je tremblais, mais j'étais prête. Prête à mourir dans d'atroces souffrances, prête à subir mon destin, prête à tout ce que vous pouviez imaginer. Cependant, mon ascension au ciel paraissait trop longue. Au-dessus de moi, j'entendais le battement rapide des ailes d'un oiseau. J'ouvris les yeux.

« -Miaaou ! »

Juste devant moi, O-Kun était à terre, les yeux fermés. Il respirait encore mais son pelage noir était parsemé de reflets rouges à l'odeur désagréable. Je repensai au liquide rouge dont je m'étais approchée un peu plus tôt. C’était… Du sang !

Je me penchai aussitôt vers le chat et frottai doucement ma tête contre lui. J'espérais qu'il ouvrirait les yeux, mais il demeura inerte. Je compris alors qu'il venait de me sauver la vie en se jetant sur le projectile.

« -Miaou, lui dis-je. Miaou, miaaou ! »

Mon champ de vision devenait flou. Je sentais des larmes envahir mes yeux, mais je tentais désespérément de les retenir. Si j'avais regardé devant moi au lieu de baisser la tête, j'aurais vu la balle arriver et O-Kun ne se serait pas sacrifié... Je m'en voulais beaucoup.

Silencieuse, je relevai la tête et aperçus un homme qui se dirigeait vers nous. Il était de taille moyenne, corpulent, simplement vêtu d'un T-shirt bleu et d'un short beige. Il marchait pieds nus dans la boue, mais cela ne semblait pas le déranger. Je remarquai ensuite qu'il cachait quelque chose dans son dos et son sourire narquois m'inquiétait fortement. Sans m'en rendre compte, je penchai ma tête sur le côté.

« -Allez mon minou, viens voir tonton Joe, chuchota l'homme. »

Il tendit son bras gauche vers moi tout en continuant de s'approcher. Je l'observai sans bouger. Lorsque sa main effleura mon visage, je reculai brutalement et lui adressai un regard menaçant.

« -Viens là, j'ai dit ! cria-t-il, furieux. »

Cette fois, je fis un grand bond en arrière. L’homme s’arrêta et me regarda quelques instants.

« -Très bien, comme tu veux, dit-il. Et il se baissa pour saisir le chat noir qui se trouvait à ses pieds.
-Miaou ! pensai-je. »

O-Kun était en danger ! Je sortis rapidement mes griffes et sautai vers cet homme. De sa main gauche, il suspendait O-Kun par la peau du cou, et il me repoussa violemment à l’aide de son bras droit qu’il avait caché derrière son dos depuis le début. Mais, pendant que je voltigeais dans les airs suite à sa contre-attaque, je découvris quelque chose. L’homme tenait dans sa main droite une cage dans laquelle je reconnus un petit animal blanc. C’était Sophie ! La féline ne semblait plus respirer...

« -Ça devrait aller, dit l’homme. (Il se parlait à lui-même…) Deux chats sont suffisants. Pas besoin du troisième. Puis il est tout petit, ce minou. Oui, c’est ça. J’ai toujours raison. Tant pis. »

Je le regardai d’un air stupéfait.

« -Au revoir, me dit-il en s’en allant. »

Je n’eus pas le temps de comprendre. Après quelques secondes de réflexion inutile, je me lançai vivement à la poursuite de l’homme. Il se retourna une dernière fois et me propulsa au loin à l’aide d'un violent coup de pied, puis il partit en emmenant avec lui les deux chats…

Je me redressai sur mes pattes. Je ne savais pas comment agir, je ne pouvais rien faire. Je me sentais inutile, incapable, lâche… Mon cœur me faisait affreusement mal. Et comme une ahurie, j’observais cet inconnu emporter mes deux amis. A cet instant précis, seule la chaleur de mes larmes réchauffait mon coeur anéanti.

Je me réveillai, allongée sur un tas de feuilles mortes... Quatre jours s'étaient écoulés depuis l'enlèvement de mes amis et j'étais encore seule sous ce grand arbre qui était devenu mon unique refuge. Ne sachant pas comment retrouver le "catnappeur", j'avais décidé d'attendre, comme si j'espérais me réveiller après un mauvais rêve. Ainsi, chaque matin, je me levais et faisais face à la réalité. Chaque jour, je m'efforçais de supporter la honte qui pesait sur moi. Et chaque nuit, en observant la lune, je laissais mes larmes quitter mes prunelles... Tout me semblait si triste.

Ce matin-là, après avoir ouvert les yeux, je me levai lentement et m'étirai les pattes comme à mon habitude. Le soleil était déjà haut dans le ciel, caché par un troupeau de moutons célestes. Je me dirigeai alors vers la fontaine, là où je pouvais m'abreuver. Lorsque j'arrivai, je m'arrêtai quelques instants, observant cette eau limpide qui s'écoulait le long de la statue placée au centre de la fontaine. Cette statue représentait un ange aux ailes immenses. Un ange comme on en voit dans nos rêves. Un ange pur et innocent, au regard étincelant... Quand je regardais cet ange, j'oubliais une partie de moi. C'était la partie sombre et remplie de tristesse qui m'empêchait de sourire.

Alors que je contemplais cette statue, les pattes posées sur le bord de la fontaine, je sentis une présence derrière moi. Je me retournai calmement, encore en phase d'admiration. Il n'y avait rien ni personne. Le parc était désert, sûrement parce qu'il faisait froid, si tôt, par un matin d'automne. Pourtant, j'étais persuadée d'avoir senti quelque chose me caresser le dos.

N'accordant aucune importance à tout cela, je m'appuyai sur mes deux pattes antérieures et grimpai sur le rebord de la fontaine, prête à apaiser ma soif. Mais alors que je me penchai prudemment en avant, je fus soudainement propulsée par quelque chose : c'était encore cette présence invisible. Je tombai dans la fontaine, n'ayant que le temps de fermer mes petites paupières...

Une sensation étrange, un silence inquiétant, l'absence de tout liquide mouillant mon pelage noir...
J'ouvris les yeux, cherchant à comprendre comment j'avais pu tomber dans une fontaine d'eau sans recevoir ne serait-ce qu'une goutte.

Blanc. Tout était blanc, et le tintement d'une cloche se fit entendre. Des images apparurent dans mon esprit. Une jolie chambre, une jeune fille, une lumière éblouissante, un grelot intriguant, le tout accompagné d'une voix masculine. Et cette voix... Cette voix venant du ciel m'appelait par mon prénom.

« -Cathy, Cathy ! Eh, réponds-moi ! Tu m'entends ? Réponds, espèce de chat battu ! »

Je sursautai.

« -O... O-Kun ? C'est toi ? » murmurai-je...

Je pensais rêver. Et durant quelques instants, je crus réellement sombrer dans la folie.

« -Evidemment que c'est moi ! hurla le chat. Ça fait une heure que je t'appelle !
-T'es pas obligé de crier comme ça ! hurlai-je sans réfléchir.
-Désolé.
-Et c'est tout ce que tu trouves à dire ? continuai-je. Si tu crois que tu me manques, et bah tu te trompes ! »

Ma voix résonnait à travers tout le "blanc", cet espace vide et indescriptible où je me retrouvais pour la seconde fois. C'était comme une énorme boîte blanche.

« -Mais... répondit O-Kun. Je n'ai jamais dit que je le pensais. Tu t'inquiétais pour moi, n'est-ce pas ? »

Je restai silencieuse, soudainement paralysée par la gêne.

« -Tu es si mignonne.
-Arrête ! Tais-toi, tais-toi ! » répliquai-je.

A ce moment-là, je compris trois choses. Premièrement, je semblais apprécier O-Kun bien plus que je ne l'imaginais, et j'avais beaucoup de mal à l'admettre... Deuxièmement... O-Kun me trouvait mignonne... Et troisièmement...

« -Je... Je parle, dis-je à O-Kun en espérant changer de sujet.
-Je sais. C'est parce que tu voulais absolument répondre à l'appel de ton maître suprême, dit-il en laissant échapper quelques éclats de rire.
-Tu n'es pas drôle. »

J'avais répondu sèchement, je l'avoue, mais cela m'importait peu.

« -Est-ce que Sophie est avec toi ? demandai-je tout à coup.
-Non, j'allais justement t'en parler. »

La voix d'O-Kun, jusque-là décontractée, commençait à devenir inquiétante.

« -Disons que Sophie est... Retournée d'où elle vient.
-Elle est rentrée chez elle ?
-Tout dépend de ce que tu appelles "chez elle", répondit le chat.
-Je ne comprends pas.
-Eh bien... Elle est au pays des anges.
-Au... Pays des anges ? Ne plaisante pas avec ça ! lui dis-je d'un ton agacé.
-Je ne plaisante pas. Sophie a quitté ce monde. Tu ne la reverras plus... Plus jamais. »

Une lame trancha mon coeur en deux. Sophie ? Morte ? ... Je la revis, inconsciente et inerte, dans la cage que tenait le méchant homme. Ce jour-là, même en ayant remarqué qu'elle ne respirait plus, j'étais loin d'imaginer sa mort... Mes pattes commençaient à fléchir. Je me laissai tomber lentement, retenant mes larmes sous le regard invisible d'O-Kun.

« -Excuse-moi, dit-il. Tout est de ma faute... Je n'aurais pas dû vous laisser toutes seules... Sophie n'était pas prête. C'était encore trop tôt.
-Qu'est-ce que tu veux dire par là ? demandai-je, la voix chevrotante.
-Eh bien... Pour faire court, Sophie et moi avions pour mission de t'accompagner.
-M'accompagner ?
-Oui. Je suis censé t'aider à retrouver ta forme humaine, expliqua le chat, et Sophie est en quelque sorte mon assistante. Un peu comme une stagiaire.
-Mais... Qu'êtes-vous exactement ? demandai-je.
-Nous sommes tes anges gardiens », répondit doucement O-Kun.

Des anges gardiens ? Je ne savais pas si je devais y croire. Je ne croyais pas en leur existence, même si j'en rêvais parfois. Devais-je croire à cette histoire ? Les anges ne sont-ils pas des êtres imaginaires ? Quand on y pense, les événements qui s'étaient déroulés ces derniers jours dépassaient mon imagination. Tout d'abord, je fus transformée en chat. Je fus ensuite recueillie par une jeune fille nommée Sophie et je rencontrai O-Kun, le chat dont la voix traversait mon esprit. Après ça, je découvris que la jeune fille était elle aussi un félin, et nous fûmes attaqués par un homme étrange. Durant ces quelques jours, je m'étais retrouvée deux fois dans un endroit inconnu, vide, et resplendissant de blancheur. Dites-moi, que devais-je croire ?

« -Eh ! Je te parle ! cria O-Kun. Sa voix me fit sortir de mes pensées inutiles.
-Excuse-moi. Je pensais à...
-Pas le temps de penser, m'interrompit rapidement le chat. Cours ! Enfuis-toi ! »

Je n'eus pas le temps d'obtenir des explications. Le "blanc" disparut soudainement, et je me retrouvai trempée, debout au fond de la fontaine. PAN ! Mon coeur cessa de battre quelques instants.

« -Minou minou, viens voir Tonton Joe ! »

Je me retournai immédiatement, les yeux grands ouverts, et je vis un homme armé.

« -Miaaou ! » criai-je par habitude. Le "catnappeur" était revenu.

Je bondis hors de la fontaine et m'empressai de prendre la fuite comme me l'avait demandé O-Kun, mais l'homme resta immobile et observait ma trajectoire. Soudain, il leva ses bras et tira une dernière fois sur la gâchette de son fusil. Et PAN !
... Je m'effondrai sous son regard diabolique, tandis qu'un liquide rouge se rependait sur mon pelage.

Étendue sur le sol, à quelques mètres de la fontaine, j'essayai de garder les yeux ouverts. Je vis l'homme s'approcher de moi, gonflant son torse comme s'il venait de remporter un titre de champion du monde. Ma blessure à la patte m'empêchait de me lever, c'est pourquoi je laissai le "catnappeur" me ramasser comme une vulgaire chaussette sans me débattre. Il me déposa à l'intérieur d'une cage qu'il referma aussitôt, puis me transporta jusqu'à l'arrière d'un petit camion blanc. Les portes se refermèrent bruyamment, et l'obscurité totale reprit sa place au coeur du véhicule. Pas une seule once de lumière. Ma nyctalopie était à présent inutile. Je ne voyais plus rien, mais je semblais être en présence d'autres animaux puisqu'il y avait là une odeur très désagréable. Je restai calme, repensant à O-Kun... Il avait dit qu'il était mon ange gardien. Je l'imaginais alors en train de pulvériser les portes du camion pour venir me sauver, tel un prince charmant venant libérer sa princesse bien-aimée. En pensant à cela, j'aurais pu rougir si j'avais été dans mon corps de jeune fille.

« -Salut », me dit une voix tout près de mon oreille.

Sans un seul bruit, je soulevai ma tête et la décalai un peu plus loin, m'éloignant de la cage voisine.

« -Je m'appelle Alex, continua l'inconnu. Et toi ? »

J'ignorai la voix qui parvenait jusqu'à moi, mais il fallait avouer que c'était une voix sublime. L'inconnu qui me parlait ne m'agressait pas comme le faisait O-Kun. Sa voix était douce et mélodieuse.

« -Je ne mords pas, tu sais ? » précisa-t-il.

Qu'importe, je ne voulais pas parler à un inconnu, et encore moins dans l'obscurité, au fond d'une cage à l'arrière d'un camion. Qui sait ce qui pouvait m'arriver ? Cet animal était peut-être un chien, un lion, un rat, ou même un crocodile. Je ne pouvais pas savoir quel genre d'animal dangereux se cachait derrière cette voix. Et puis. Je me demandais si O-Kun aurait été jaloux en me voyant parler avec un charmant inconnu... Je secouai la tête pour oublier mes pensées. O-Kun avait juste dit qu'il me trouvait mignonne, point. Rien de plus. Et puis d'ailleurs, NON, je ne l'aimais pas. Je l’appréciais, voilà tout.

Au bout d'une vingtaine de minutes, le camion s'arrêta. Le "catnappeur" ouvrit lentement les portes du camion, laissant apparaître un faisceau lumineux qui m'aveugla. Mon premier réflexe fut de tourner ma tête vers la cage voisine. Là, derrière les barreaux, je distinguai un animal assez petit. L'inconnu qui m'avait adressé la parole était un chat au pelage roux, mais je trouvais que sa tête ressemblait légèrement à celle d'un furet.

« -Oui, je sais, dit-il en apercevant mon regard.
-Que sais-tu ? demandai-je après quelques secondes d'hésitation. J'avais enfin décidé de lui parler.
-Je sais que je suis moche, répondit-il tout simplement.
-Tu ne l'es pas. »

Notre conversation fut interrompue par le "catnappeur".

« -Allons, cessez de miauler comme ça !
-On ne miaule pas. Et puis laissez-moi partir ! criai-je.
-Oh toi, petit chaton, ne crois pas que tes miaulements vont m'amadouer ! protesta l'homme.
-Mais je...
-Il ne comprend pas, me chuchota le chat roux pendant que le "catnappeur" saisissait sa cage. Tu peux crier autant que tu veux, il n'entendra que des miaulements. »

Je me tus... L'homme nous déposa devant l'entrée d'un grand bâtiment noir et partit ensuite chercher d'autres cages dans le camion. Je me relevai lentement malgré ma patte avant droite ensanglantée. La balle qu'avait tirée l'homme m'avait effleuré la patte, rien de grave, mais cela me faisait tout de même assez mal. C'était la première fois qu'on me tirait dessus. (Heureusement, si je puis me permettre.)

J'identifiai la bâtisse qui se trouvait devant nous. C'était un grand bâtiment, une sorte de "gros carré noir" composé de quatre grands murs inquiétants. Il n'y avait aucune fenêtre, aucune aération, rien. Juste une simple porte au devant de la façade. Je me tournai vers le chat roux afin de lui demander où nous étions.

« -Mais qu'est-ce que tu fais ? demandai-je d'un air surpris.
-Chut... » fit le chat.

L'animal avait sorti ses griffes. Il tentait calmement de déverrouiller la serrure de sa cage, profitant de l'absence du "catnappeur". Un claquement de porte retentit.

« -Il arrive », chuchotai-je.

Le chat fit un dernier mouvement... Clic ! Il ramena immédiatement sa patte près de son oreille, faisant mine de se gratter.

« -Objectif atteint », me dit-il en esquissant un sourire.

L'homme passa près de nos cages sans s'arrêter, nous adressant un bref regard. Il tenait trois petites cages dans lesquelles je pus reconnaître trois autres chats. Je le suivis des yeux jusqu'à ce qu'il entre dans le bâtiment noir...

« -Je vais te faire sortir, me dit le chat roux. Mais d'abord, dis-moi comment tu t'appelles.
-Cat euh... Cathy, répondis-je.
-Cathy ? C'est drôle, ma soeur portait le même prénom... remarqua le chat en sortant de sa cage. Si seulement j'avais pu la sauver... »

Je le regardai enfoncer l'une de ses griffes dans la serrure de ma cage, songeant à la dernière phrase qu'il venait de prononcer.

« -Sauver... murmurai-je...
-Raison de plus pour te sortir de là.
-Mais O-Kun, pourquoi ? demandai-je.
-O-Kun ?
-Euh excuse-moi, répondis-je en secouant la tête. Je voulais dire... Alex... Qu'est-il arrivé à ta soeur ?
-Eh bien... Tu vois, ce bâtiment noir ? dit-il calmement. Ma soeur a été séquestrée là-bas. Et quand j'ai essayé de la sortir de là... Il était déjà trop tard. »

Boum. Mon petit coeur me frappa violemment. A la fois attristée et apeurée, je ne savais pas quoi répondre face à cette découverte.

« -Allons-y, me dit soudainement Alex. Il avait ouvert ma cage sans que je m'en aperçoive.
-Et les autres ? demandai-je en me tournant vers le grand bâtiment.
-Les autres ? C'est fini pour eux... Avance. »

Le félin se mit en route. Je regardai une dernière fois ce bâtiment noir, pensant aux chats qui se trouvaient à l'intérieur. Je ne savais quel sort les attendait, mais j'étais consciente que leurs vies leur seraient bientôt ôtées. Le coeur lourd et rempli de peine, je sortis silencieusement de ma cage, et boitant légèrement, je suivis les pas d'Alex qui m'attendait un peu plus loin.

Quand j'y repensais, la semaine qui s'était écoulée depuis ma transformation n'était qu'une succession d'événements étranges. Il fallait même avouer que je perdais mon temps... Je n'avançais pas dans ma quête, rien ne me rapprochait de mon but. J'appréciais ma forme féline, mais mon corps d'origine et mon entourage commençaient à me manquer fortement. Ces derniers jours ne m'avaient apporté que tristesse et violence, même si... Même si je découvrais en moi un sentiment intense que je n'avais jamais connu...

Devant moi, le chat roux avançait rapidement malgré ma difficulté à le suivre. Il avait l'air de penser à quelque chose, mais je n'osais pas lui demander ce qui le tracassait. Après tout, nous nous connaissions à peine...

« -Et ses problèmes ne sont pas les miens.
-Mhh ? »

Je m'arrêtai, fixant Alex qui s'était tourné vers moi.

« -Euh...
-Tu as dit quelque chose, non ? demanda-t-il d'une voix légère.
-Non, excuse-moi. J'ai dû penser à voix haute... »

Le chat me sourit. Au moment où nous nous apprêtions à reprendre la route, de grands aboiements se firent entendre.

« -Oh non ! » cria Alex.

Il m'attrapa et se mit à courir, apeuré par les chiens. Je laissai échapper un miaulement d'étonnement, mais ce miaulement fut recouvert par un puissant cri aigu qui me fit frissonner.

« -A l'aide, aidez-moi ! » continua la personne qui venait de crier.

Alex et moi nous étions arrêtés et regardions autour de nous. Lorsqu'un second cri retentit, nos regards se tournèrent vers une petite ruelle où l'on apercevait trois énormes chiens aboyant et grognant comme des enragés. Nous nous approchâmes discrètement... Et mon coeur cessa de battre quelques instants.

« -T... TOI ! » m'exclamai-je involontairement.

Au bout de la ruelle, une jeune fille se tenait dos contre un mur et semblait terrifiée face aux trois chiens. Elle serrait contre elle un petit cahier. Ses longs cheveux bruns ondulaient gracieusement sur sa poitrine. Sa robe blanche parcourait innocemment les courbes de son corps pour finalement laisser apparaître ses jambes, et ses yeux couleur noisette m'émerveillaient par leur tendre beauté.
Je cessai de contempler son charme et l'examinai du regard... C'était bien elle. Oui, "elle". Cette fille. Cette sorcière, cette chose malsaine, cette voleuse... Elle était là, juste devant moi ! Comment pouvais-je ne pas la reconnaître, cachée derrière son masque d'innocence ? J'étais capable de la distinguer parmi toutes les filles du monde, puisque personne n'était aussi maléfique qu'elle...

Tout à coup, des aboiements me firent sursauter. J'avais oublié la présence des chiens qui se trouvaient entre la fille et moi.

« -Tu n'as que ce que tu mérites... Pensai-je un peu trop fort.
-Dans ce cas, il serait peut-être temps de partir », chuchota quelqu'un à ma gauche

Je tournai la tête. A côté de moi, Alex tremblait de peur. Lui qui m'était apparu si fort et si courageux lors de notre rencontre.

« -Allons-y », répondis-je en soupirant.

A cet instant précis, les trois chiens se jetèrent sur la jeune fille. Je la vis serrer le cahier qu'elle tenait encore plus fort contre elle, comme une mère protégeant son enfant. Je voulus m'en aller.

« -Vraiment ? demanda une voix. Je pensais que tu avais un coeur. »

Je m'écroulai.

« -O... O-Kun ?
-Regarde cette fille. » Dit-il d'une voix sèche.

Je relevai les yeux et regardai cette fille qui se débattait contre les chiens. Elle était à présent à terre, adossée contre le mur, la tête repliée sur le cahier qu'elle tenait toujours aussi fermement contre son corps. Les chiens s'agitaient autour d'elle et se servaient de leurs crocs pour tirer ses vêtements. Je fus soulagée de voir qu'ils ne l'avaient pas encore mordue...

Une silhouette s'avança silencieusement à ma droite. Je frissonnai en l'apercevant.
C'était un chat au pelage noir sali par des tâches de sang rougeâtres. Il s'approchait lentement des chiens, l'air imposant. Ces derniers se ruèrent brusquement sur lui.
Un pas, deux pas, et c'en fut fini. D'un simple geste de la patte, le chat avait éliminé ses ennemis. Il les avait tranchés tel un épéiste à l'aide de ses griffes enflammées, et une aura de supériorité émanait de son corps. A mes yeux, c'était un héros, une légende, un dieu.

« -O-Kun, tu...
-Pourquoi dois-je toujours te surveiller ? me coupa le chat sur un ton énervé.
-Je...
-Ça suffit. On a perdu assez de temps comme ça.
-Mais je...
-Je ne veux rien entendre, continua-t-il. Cette fille. Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous, mais force-toi à l'aimer. Compris ? »

O-Kun me parlait sans m'adresser un seul regard. Cela le rendait encore plus effrayant.

« -Pourquoi ? demandai-je innocemment.
-Vous allez vivre ensemble quelques temps, répondit-il en me regardant enfin.
-Hein ? fis-je d'un air abasourdi.
-Si tu veux retrouver ton corps, tu n'as pas le choix.
-Je ne p...
-Cathy. »

Le chat noir me regardait droit dans les yeux. Son regard était devenu triste, mais cela me donna l'impression d'être tendrement enlacée dans les bras d'un homme amoureux... "Boum... Boum boum." C'était encore cette sensation étrange. Les battements de mon coeur s'amplifiaient.

« -Qui es-tu pour lui donner des ordres ? intervint soudainement Alex. On ne t'a jamais appris à parler aux demoiselles ?
-Qui es-tu pour l'inciter à fuir, répliqua O-Kun. On ne t'a jamais appris à protéger les demoiselles en détresse ? » dit-il en faisant un signe de tête vers la fille qui s'était relevée.

Cette dernière vérifia l'état de son mystérieux cahier puis se dirigea lentement vers nous. Alex fit quelques pas en arrière tandis qu'O-Kun se redressa.

« -Allons-y, me souffla le chat roux.
-Ne bouge pas », ajouta le chat noir.

Je ne savais plus quoi faire. Sans prévenir, les deux félins partirent chacun de leur côté : Alex à gauche, O-Kun à droite. Je me retrouvai seule face à...

« -Pourquoi sont-ils partis ? demanda la fille qui s'était baissée pour me caresser la tête.
-Ne... Ne me touche pas ! » miaulai-je en lui donnant un coup de patte.

Je savais qu'elle n'entendait que des miaulements, mais je ne pus m'empêcher de continuer :

« -Tu n'es qu'une voleuse. Une manipulatrice ! Ne t'approche pas de moi ! »

Elle me regardait, insouciante, essuyant les larmes qui trainaient sur son visage depuis l'attaque des chiens.

« -Je m'appelle Anna », chuchota-t-elle en souriant.

Et, sans même demander mon avis, elle me prit dans ses bras. Je pensai à me débattre, mais les paroles d'O-Kun revinrent dans mon esprit : "Si tu veux retrouver ton corps, tu n'as pas le choix"... Je me laissai alors enlever par cette fille démoniaque et sournoise.

« -Si tu veux retrouver ton corps, tu n'as pas le choix. »

"Tu n'as pas le choix... n'as pas le choix... pas le choix..."
... La voix d'O-Kun, ou plutôt devrais-je dire la voix de la raison, résonnait continuellement dans mon esprit.

La jeune fille qui m'avait emmenée marchait calmement, me serrant dans ses bras auprès de son petit cahier. Sa démarche gracieuse me rappelait quelqu'un : Sophie... Oui, Sophie, mon ange gardien aux petites ailes blanches. C'est ainsi que je l'imaginais. Blanche. Blanche comme le plafond de sa chambre. Blanche comme le pelage qu'elle avait sous sa forme féline. Blanche comme son innocence. Blanche comme sa pureté. Blanche... Tout simplement... Comme la douceur qui émanait de son corps, même inerte.

-Je suis rentrée, fit la jeune fille en me sortant de mes pensées.
-Anna, te voilà ! cria une personne dont la voix m'était familière. Je commençais à m'inquiéter.
-Pardon. J'ai eu quelques soucis en rentrant...
-Des soucis ? demanda la voix en s'approchant.
-Oui.

Je tournai la tête pour voir la personne qui s'adressait à la jeune fille. Le soleil m'aveugla.

-Un chat ?
-J'ai été attaquée par des chiens, répondit Anna. Ce chaton était aux côtés du chat qui les a chassés, et...

Une main me saisit violemment.

-Et tu penses que j'accepterais de garder cette chose chez moi ? demanda la voix, méprisante.

Mes yeux s'écarquillèrent soudainement au moment où le soleil cessa de m’éblouir :

-Ma... man ?

Je m'affolai. Ma propre mère me suspendait par la peau du cou, et il m'était impossible de lui faire comprendre qui j'étais.

-Maman, maman ! C'est moi ! criai-je.
-Je ne veux pas d'un autre chat.
-Mais je ne peux pas l'abandonner dehors, répondit la fille maléfique qui m'avait amenée jusqu'ici.

Ma mère ne répondit pas. Silencieuse, elle me posa dans les bras d'Anna et nous poussa doucement dehors, refermant la porte avant que la jeune fille ne puisse prononcer un mot.

Je tremblais de stupeur. Ma mère se trouvait derrière cette porte. Je n'avais rien pu lui dire, je n'avais rien pu faire. Pourtant, cette maison n'était pas la mienne. Je ne l'avais jamais vue, et ma mère semblait vivre ici... Je ne comprenais pas.

Après m'avoir caressé la tête, Anna fit demi-tour et nous nous éloignâmes de la maison. Le son de ses pas me berçait petit à petit... Je finis par m'endormir dans les bras de la jeune fille. Par ailleurs, je commençais à oublier la haine qu'elle avait auparavant fait naître en moi.

Lorsque je me réveillai, il faisait jour. Il était 11h57, pour être précise. Je le savais car le réveil qui se trouvait à ma droite me l'indiquait. J'avais soigneusement été déposée sur un lit, certes petit mais très confortable. Je me levai, me balançant sur mes pattes sous l'effet de la fatigue.
Devant moi, une fenêtre fermée. A ma gauche, une armoire fermée. Au bout du lit, une porte fermée. Et à ma droite, juste un réveil posé sur le chevet. Derrière moi ? Un mur, voyons.

Sans prendre mon élan, je sautai aisément sur la table ronde qui se situait au milieu de la pièce. Là, mon regard fut attiré par l'unique objet qui y était posé : le petit cahier d'Anna. Je regardai autour de moi comme pour vérifier l'absence de la jeune fille. L'image d'Anna se repliant sur son cahier lors de l'attaque des chiens me revint alors en tête.
Je fixai de nouveau cet objet posé devant moi. J'eus l'impression que ce mystérieux cahier m'adressait la parole. Il voulait que je l'ouvre. Je devais y jeter un oeil. Fouiller à l'intérieur... La curiosité est un vilain défaut. Qu'importe ? Personne n'en saura rien.

D'un geste lent, je posai ma patte sur le bord du cahier. Il fut ouvert avant que je ne m'en aperçoive. Je vis des choses. Beaucoup de choses. Surprise par le contenu, je demeurai silencieuse, hésitant longuement à chaque fois avant de tourner les pages que je regardais avec attention.

Un bruit me fit sursauter. Quelqu'un venait d'insérer une clé dans la serrure de la porte. Anna ! Je refermai immédiatement le cahier et me jetai sur le lit en m'y laissant rouler jusqu'au mur.

« -Tu es réveillée ? Pardon de t'avoir fait attendre, dit la jeune fille en refermant la porte, souriante. J'ai quelque chose pour toi », ajouta-t-elle pendant que je remarquai que j'avais abîmé une page en refermant le cahier.

Je commençais à paniquer.
La jeune fille se dirigea vers moi et s'assit sur le lit en y déposant joyeusement le sac plastique qu'elle tenait. Je m'approchai d'elle entre deux regards furtifs vers son précieux cahier.

« -C'est une pelote de laine et de la nourriture pour chat, dit-elle avec la voix d'une petite présentant ses poupées à ses parents. Et puis tu sais, continua-t-elle. J'y ai beaucoup réfléchi. Je t'ai trouvé un nom. »

Je relevai la tête. Sa voix avait soudainement changé. C'était de nouveau une jeune fille d'environ 17 ans qui m'adressait la parole.

« -Cathy. » prononça-t-elle d'un ton sec, plongeant son regard dans le mien.

Mon vrai prénom ?
Je fus prise de vertiges. Mes pattes s'apprêtaient à flancher. Qui était cette fille ? Quel était le lien qui me reliait à elle ? Pourquoi connaissait-elle ma mère et tout le reste ?

Je jetai un ultime regard vers son cahier maladroitement fermé :
« 15 septembre. Je vais enfin rencontrer Cathy ! »