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Sujet: [JORGE LUIS BORGES] ♦ El Aleph Sam 31 Mai 2014 - 10:20 | |
| L'Aleph - Extrait de \"L'Immortel" a écrit:
- Etendu sur le sable, comme un petit sphynx de lave écroulé, il laissait tourner sur lui les cieux depuis le crépuscule de l'aube jusqu'à celui du soir. J'estimais impossible qu'il ne comprît pas mon dessein. Je me rappelais que les Ethiopiens sont persuadés que les singes, délibérément, ne parlent pas, pour qu'on ne les oblige pas à travailler. J'attribuais au soupçon ou à la peur le silence d'Argos. De cette hypothèse, je passais à d'autres, non moins extravagantes. Je pensais qu'Argos et moi appartenions à des univers distincts; je pensais que nos perceptions étaient identiques , mais qu'Argos les combinait de façon différente et construisait avec elles d'autres objets; je pensais qu'il n'existait peut-être pas d'objet pour lui, mais un va-et-vient continuel et vertigineux d'impressions d'une extrême brièveté. Je pensais à un monde sans mémoire, sans durée; j'examinais la possibilité d'un langage qui ignorerait les substantifs, un langage de verbes impersonnels et d'épithètes indéclinables. Ainsi mouraient les jours et, avec les jours, les années, pourtant quelque chose de pareil au bonheur arriva un matin. Il plut avec une puissante lenteur.
L'Aleph est un recueil de nouvelles mystérieuses, à la frontière du conte métaphysique et du récit fantastique, voire de l'énigme policière, qui répètent à l'infini de troublantes symétries. Démiurge enfermant le lecteur dans un labyrinthe inextricable aux multiples ramifications, Borges encercle son sujet, "l'inconcevable univers", telle une araignée tissant sa toile. Ses dix-sept nouvelles reprennent les mêmes thèmes en se bornant à déplacer l'angle de vision, à changer de lieu, d'époque et de personnages. L'auteur se fait photographe, jouant de son objectif en passant sans cesse du zoom au grand angle pour grossir des détails qui s'estomperont dans un plan plus éloigné. (...) Les différentes nouvelles cherchent ainsi à approcher l'infini de l'univers, celui de l'espace et du temps où se dissout l'individualité. Elles sont voyages ou expériences initiatiques , lambeaux de rêves qui s'effilochent à la lumière du jour ou révélations soudaines à l'approche de la mort, quand le négatif s'inverse et qu'en un instant se déroule le film d'une vie équivalente à toute vie, tentatives pour figurer Dieu à défaut de pouvoir l'écrire. Et L'Aleph semble ainsi "une espèce de tigre infini (...) fait de nombreux tigres, de vertigineuse façon"...
IRU, ANGE GARDIEN 04/05/18 |
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